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Petits problèmes ethiques du tourisme![]() Uluru / Ayers Rock, un patrimoine trahi Le tourisme de la culture apparaît souvent comme une solution salutaire pour la sauvegarde et l’entretien du patrimoine matériel et dans une certaine mesure du patrimoine immatériel.
Effectivement pour nombre de bâtiments ou sites historiques délaissés par les activités modernes, le développement touristique est la seule alternative possible à leur entretien et par la même à la conservation de leur rôle mémoriel.
Prenons pour exemple l’Observatoire du Pic du Midi de Bigorre dans les Hautes Pyrénées. Les instruments techniques sont de nos jours dépassés et impliquent une activité scientifique réduite. Pour pallier aux dépenses d’entretien excessives, prises en charge autrefois par les autorités scientifiques comme le CNRS, une partie importante du site a été transformée en musée. Des activités de médiation telles que des nuits d’initiation à l’astronomie ou en journée des observations du soleil à la lunette sont organisées afin d’animer le site. Le Pic du Midi est un véritable témoignage des prouesses techniques de construction du XIXème siècle, le Pic culmine en effet à 2877m mais il est également un témoin de l’histoire scientifique de la conquête spatiale. L’Observatoire a fourni les images de la Lune nécessaires aux missions Apollo et sa survie n’a été possible qu’en suscitant aux touristes l’envie de le visiter. Nous démontrerons que le site d’Uluru / Ayers Rock est un patrimoine trahi. Trahi dans les termes même de l’accord pour la rétrocession du site aux Aborigènes en tant que cette dernière est conditionnée par la contrainte d’organiser ce lieu en site touristique pour une durée de 99 ans. Patrimoine trahi par la profanation quotidienne qu’en font certains touristes en accédant au sommet de la montagne. I Une rétrocession des terres spoliées contre une exploitation touristique Après les balbutiements d’une activité touristique non réglementée et sans concertation avec les autochnones dès les années 1940, un accord pour la rétrocession du site est passée entre la tribu aborigène des Anangu et le gouvernement fédéral en 1985. L’ethnocide a mobilisé toute la palette des crimes des plus vils aux plus officiels. Dépassant certainement les 500 000 individus en 1788 à l’arrivée des colons britanniques, ils furent recensés en 1911 au nombre de 31 000 (d’après Colin Tatz). Durant la période coloniale, de nombreux massacres furent commis pour l’accès aux ressources naturelles et les actes criminels très répandus : distribution de couverture et vêtements porteurs de germes infectieux ; empoisonnement des points d’eau… En 1901, suite à la constitution d’un État fédéral autonome, l’administration australienne créée des réserves où furent déportés des Aborigènes afin d’éviter tout métissage. Dans les réserves, il leur fut interdit de chasser, de pratiquer leurs rites et d’élever leurs enfants. Cette politique de déracinement physique et culturel des peuples indigènes s’est accompagnée d’une politique de « blanchiment » (whitening) visant à marier les jeunes filles aborigènes enlevées à des hommes blancs ou à des Aborigènes plus clairs afin que disparaissent en quelques générations les traces d’une descendance indigène. La pratique des enlèvements d’enfants a perduré de 1905 à 1960, le gouvernement parle aujourd’hui de « génération volée ». Les métis étaient envoyés dans des institutions lointaines pour y apprendre à servir les colons et restaient à vie sous tutelle de l’administration australienne. Ségrégations, massacres ponctuels, servilité, disparition planifiée tel était le contexte lorsque les premiers touristes arrivèrent en 1936 sur le site d’Ayers Rock. Cette montagne au milieu du désert fut découverte le 19 juillet 1873 par William Gosse. Il la baptise Ayers Rock en hommage à Henry Ayers, premier ministre australien. L’intérêt du site repose alors sur son étrangeté géologique et sa beauté, en somme les touristes viennent apprécier une curiosité naturelle mais également le symbole de la conquête de terres si inhospitalières de l’Australie centrale, le Bush. Le développement des infrastructures permanentes touristiques commencent dès les années 1940 au pied d’Uluru / Ayers Rock. Les premières pistes carrossables sont tracées en 1948 et au début des années 1950 un tour en bus est proposé. Uluru / Ayers Rock est devenu dès lors une attraction touristique pour la société blanche qui peut profiter des premiers aménagements. La « réserve Petermann » où sont déportés des Aborigènes de la tribu des Anangu est déplacée afin de créer le « parc national d’Ayers Rock - Monts Olgas » en 1958. Cette zone correspond à l’actuel « parc national d’Uluru - Kata Tjuita ». En 1959, le bail d’un motel et d’un camping est accordé par le gouvernement australien ainsi que l’autorisation de construction d’une piste d’atterrissage. Les touristes auront à présent la possibilité d’accéder au site plus rapidement en évitant les longues heures de route pour se rendre dans le centre désertique de l’Australie. Les Aborigènes ne devenant citoyens australiens qu’après un référendum en 1967 et au vue des politiques sociales les concernant jusque dans les années 1960, à aucun moment il ne fut question de voir dans ce site un lieu sacré ; le respecter comme tel revenait à considérer les Aborigènes comme des égaux différents. Impensable alors. La rétrocession du site d’Uluru / Ayers Rock s’inscrit dans l’émergence du mouvement plus général de l’Australie rendant des titres de propriétés aux Aborigènes.
La loi du 16 décembre 1976, la « Northern Territory Land Rights Act », reconnaît le droit foncier des Aborigènes sur les réserves situées dans le Territoire du Nord relevant directement de la législation fédérale (les six autres États australiens ont leurs propres lois).
C’est ainsi que le 11 décembre 1985, le gouvernement fédéral rétrocède la propriété du parc d’Uluru - Kata Tjuita aux Aborigènes Anangu. La tribu des Anangu obtient de siéger en majorité au conseil d’administration du site ainsi que le droit d’engager des personnes de la tribu comme guide aux côtés des rangers déjà en place. L’obligation d’accepter la lourde contrepartie qu’est la contrainte d’une exploitation touristique pour récupérer un bien volé est la preuve d’une entorse dans le cheminement de la reconsidération des droits et de la culture du peuple aborigène. En ce sens le classement de l’UNESCO est assez révélateur de la difficulté d’un devoir de mémoire que fait la Nation australienne face à son passé colonial. L’Australie ratifie la Convention de l’UNESCO de 1972 en 1974. Les premiers sites inscrits sont des sites mixtes : culturels et naturels mais n’interviennent que dans les années 1980. C’est le cas du parc national de Kakadu ou la région des lacs de Willandra.
Le parc national d’Uluru - Kata Tjuita est inscrit en 1987 soit deux ans après la rétrocession du site aux Anangu. L’impact touristique dû au classement est tel que l’UNESCO doit procéder à une extension en 1994 en tant que deuxième paysage culturel sur la liste du patrimoine mondial pour préserver l’héritage culturel du site. Des dégradations importantes ont en effet étaient signalées sur les peintures et les gravures rupestres situées à la base de la montagne dans des cavités ou en extérieur. Malgré cela, pour l’Australie, jouer la carte d’un tourisme respectueux des identités culturelles et soucieux de l’ouverture à l’autre peut-il être réellement viable ? Cette rencontre peut-elle en effet être authentique et désintéressée quand le système économique et social australien marginalise la population aborigène ?
L’alcool, l’illettrisme et les violences conjugales sont fréquents et bons nombre d’Aborigènes vivent dans des bidonvilles jouxtant les grandes villes. Les Aborigènes représentent 2% de la population australienne dont 40% sont en prison. Ces chiffres soulignent bien là la difficulté pour les indigènes d’intégrer le système et les valeurs occidentales. Un modèle de réconciliation réussie est l’exemple de Monument Valley aux États-Unis d’Amérique. La tribu des Navajo gère entièrement le site et a édicté des règles de visites et de découvertes très strictes.
Ce règlement protège les aspects traditionnels de la vie des habitant qui y vivent depuis des générations. La communauté Navajo a pu ainsi préservé leurs mode de vie pastorale, leur langue, leurs arts et leurs rapports traditionnels et harmonieux avec la terre.
Une partie de Monument Valley ne peut être visitée qu’en compagnie d’un guide officiellement autorisé par la tribu comme les guides de Kéyah Hózhóní. Le reste du Pays Navajo n’est pas autorisé aux touristes. II L’ascension, preuve visuelle de la trahison de ce patrimoine religieux vivant Malgré l’exemple de réussite entre tourisme et respect d’un patrimoine qu’offre Monument Valley, malgré l’inscription par deux fois du site à la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, insistant sur la relation paysage/culture, ce patrimoine est quotidiennement profané. Uluru est un lieu religieux pour les Aborigènes en général et pour les Anangu en particulier.
Le concept de « Dreaming », traduit par « Temps du rêve » est un des principes majeurs commun à toutes les sociétés aborigènes.
Le « Temps du rêve » fait référence aux origines de la création, quand les ancêtres spirituels s’entendirent pour donner une forme au monde, le peupler et y mettre de l’ordre.
Ces héros fondateurs ont une présence spirituelle éternelle qui se manifeste dans la nature : dans les arbres, les rochers, les plantes, les animaux… Mais la difficulté pour les australiens et les touristes occidentaux peut s’expliquer par les réminiscences de l’histoire de la conquête du Bush par les colons.
On pourrait considérer Ayers Rock comme un monument de la colonisation. Bien sûr à aucun moment cette signification pour la Nation australienne n’a été revendiquée comme telle. Cependant le baptême même de cette montagne sous le nom « Ayers Rock » est un témoin de la conquête du Bush australien. C’est dans cette appropriation d’Uluru comme monument de la colonisation que la société blanche s’est octroyée le droit de le gravir. L’attachement spirituel à ce site se manifeste par les nombreuses gravures et peintures qui ornent plusieurs grottes et cavités de la base de la montagne et qui servent à de nombreux rituels. N’est-ce pas une trahison de plus de prétendre que le sacré puisse coexister avec une exploitation touristique ?
Partant du postulat que le sacré ne s’approche qu’à travers des rites et des initiations et qu’il ne peut se consommer, le sacré est réservé aux seuls initiés et ne peut s’exhiber ou se marchander. Jésus n’a-t-il pas chassé les marchands du Temple ? Procédons à un parallèle moins philosophique mais tout aussi intéressant : les pyramides égyptiennes. Ces édifices religieux sont massivement visités. Destination touristique majeure, les visiteurs ont longtemps pu monter sur les parois. Hormis les problèmes de conservation, l’ascension d’une pyramide pharaonique est bien moins profanatrice que celle d’Uluru car le système religieux qui concevait ces créations comme sacrées a disparu voilà plus de 2000 ans et ne concerne plus qu’à titre historique un habitant de l’Egypte actuelle. L’égyptien qui plus est aujourd’hui, est musulman. Il n'a donc que mépris pour les païens ; à quoi il faut ajouter la colonisation arabe : un égyptien de 2009 ne peut pas s'identifier à un égyptien de l'antiquité.
Les pyramides étaient des édifices sacrés. Uluru est un site sacré. Et malgré toutes ces dispositions de sauvegarde et d’interdiction, tous les équipements et récompenses sont là pour vous inciter à accéder au sommet.
Des éléments de signalétiques sont mis en place pour les visiteurs.
Tout d’abord, à l’entrée du parc national d’Uluru-Kata Tjuita, il est parfois précisé sur un panneau: « The climb is closed, strong winds at summit », «L’ascension est fermée, vents forts au sommet ».
La fermeture ne relève donc pas d’une quelconque éthique face à la symbolique que représente pour les indigènes la montagne sacrée Uluru. Mais bel et bien d’une intention sécuritaire pour les seuls touristes sportifs imprudents. ![]() Et bien entendu, l’argument phare reste la vue imprenable au sommet et la possibilité de vous orientez grâce à une table d’orientation posée à l’arrivée vous indiquant à combien de kilomètres se trouve Alice Spring et où se trouve telle ou telle montagne. Uluru devient donc un point de vue pour les touristes courageux et curieux ! Cet appétit touristique de reconnaître un point de vue aperçu dans une brochure commerciale s’accompagne d’une reconnaissance à trois sous par la délivrance d’un « diplôme » attestant votre rude montée sur la montagne. L’appât est donc trop fort, être venu jusqu’au fin fond du Bush australien et ne pas escalader le seul gros rocher, quel gâchis ! Christelle Cirou Réflexion dans le cadre du Master 2 "Métiers du Patrimoine." |